Vestiges des fortifications de la ville de Bitche
Le Bitscherland, petite et discrète région
aujourd'hui excentrée et éloignée des axes majeurs de communication, possède
pourtant une histoire très riche, du fait de sa position stratégique, aux
marches des deux grandes puissances que sont l'Allemagne et la France. La
région possède également un riche patrimoine civil ainsi que religieux. L'histoire de la
ville de Bitche et du Bitscherland, véritable enjeu militaire, est indissociable de
celle de leur forteresse
imprenable
: elle présente en effet des particularités qui lui
sont propres. La belle porte de Strasbourg (appelée aussi
en allemand Straßburger Thor) se situe en plein cœur de la petite ville de Bitche, entre la gare d'une part - située hors de l'ancienne enceinte fortifiée -, l'hôtel de ville et l'église catholique Sainte-Catherine d'autre part. Elle constitue un
des seuls vestiges des importantes fortifications qui comprenaient autrefois quatre
portes, encerlant totalement la place-forte.
Table des matières
1. Fortifications
2. Portes
3. Bibliographie
1. Fortifications
Jusqu’à la guerre de Trente Ans (1618-1648), la ville de Bitche n'est
constituée que de deux bourgs, l'un - situé autour de l'actuel quartier de la mairie - du nom de
Kaltenhausen (signifiant littéralement maisons froides), et l'autre - au niveau du quartier de l'abattoir - du nom de
Rohr (signifiant roseau). La population de l'ensemble est de 198 habitants en 1595. Ces
deux bourgs sont entourés d'un mur d'enceinte, donnant passage aux piétons et
aux attelages grâce à deux portes. Mentionné au XVIe siècle
comme une simple palissade, ce mur est construit en 1563 par le comte
de Bitche-Zweibrücken. Le 6 septembre 1633, les troupes des
mercenaires suédois détruisent et incendient les deux bourgs de Kaltenhausen et
Rohr et Louis de Crevant, seigneur d'Argy
puis marquis d'Humières, sur les ordres du cardinal Armand
Jean du Plessis de Richelieu (1585-1642), assiège et occupe la
place en 1634.
Durant l'hiver
1673-1674, Henri de La Tour d'Auvergne-Bouillon, vicomte de Turenne
(1611-1675) prend ses quartiers d'hiver dans le Palatinat et vient visiter la ville de Bitche.
Impressionné par l'importance stratégique du site, il
finit par convaincre Louis XIV (1638-1715), roi de France de 1643
à sa mort, de fortifier ce point et en 1679, le roi charge
le maréchal Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707) de
ce travail. La ville est entourée d'un mur par le
maréchal d’Humières. Les travaux ont lieu de
1683 à 1697 et coûtent à la France
2 500 000 livres d'or, ce qui constitue une somme
énorme pour l'époque. Par des traités de paix successifs, la place de Bitche change de mains et ses
fortifications sont détruites et reconstruites à plusieurs reprises. La
population de la ville augmente peu à peu pour atteindre 400 habitants en 1626.
En
1697, le traité de Ryswick met fin à la guerre de la
ligue d'Augsbourg (1688-1697) entre Louis XIV et la Grande Alliance,
restituant la Lorraine au duc Léopold (1640-1705), empereur du
Saint-Empire à partir de 1658, stipulant que la place de Bitche
sera rasée : la citadelle
est donc démantelée en 1698. Les nouvelles fortifications
doivent être rasées et un régiment originaire des
Flandres se charge de cette besogne de l'automne 1697 à
l'été 1698. En 1701 éclate la guerre de Succession
d'Espagne, qui opposera la France et l'Espagne à une coalition
européenne jusqu'en 1714 : une nouvelle fois, une garnison
française vient occuper Bitche. Les soldats s'efforcent
aussitôt de reconstruire les fortifications construites par le
maréchal de Vauban et rasées peu de temps avant.
En 1735 et 1736 sont signés des accords spécifiant que
le duc de Lorraine François III Stéphane (1709-1765)
renonce aux duchés de Bar et de Lorraine au profit du roi de
Pologne en exil Stanislas Leszczyński (1677-1766), dont la fille a
épousé Louis XV (1710-1774), roi de France de
à partir de 1715. Le roi déchu vient donc s'installer
à Lunéville et prend le titre de duc de Lorraine à
partir de 1737. En 1738, Louis XV autorise à reconstruire la
place forte de Bitche,
intégrée au système défensif des
frontières françaises, sous la direction du
maréchal de Bournay. La nouvelle enceinte est composée de 6822 pièces et
dure pratiquement jusqu'en 1788. Quand le maréchal meurt en 1740, il est
remplacé par un homme providentiel pour la ville de Bitche, le
comte Henri François de Bombelles, qui est gouverneur de la
place de 1740 à son décès en 1760. Celui-ci se met
à l'ouvrage dès 1741 et lorsqu'en 1744, les mercenaires
guerroyant pour l'Autriche s'approchent de Bitche, il sont
repoussés. Les travaux de fortification durent jusqu'en 1765,
comme l'indique la plaque que Louis XV fait poser à l'entrée de la citadelle. Le tracé du maréchal de Vauban est respecté
et renforcé par d'autres ouvrages. L'année 1743 voit la construction de quatre
barrières permettant d'entrer dans la place.
Par
une ordonnance ministérielle de la Guerre établie au
cours du mois d'octobre 1788, il est décidé que
l'enceinte de palissade serait remplacée par un mur. Les
travaux sont ainsi effectués et achevés en 1795, ayant
occasionné la dépense d'une somme de 57 202
francs. Ce nouveau mur de fortification s'étendait du glacis de
la citadelle jusqu'à l'étang du
Stadtweiher, avant d'être agrandie de 1844 à 1852.
Il faut remonter à l'année 1844 où le général
Antoine Virgile Schneider (1779-1847), originaire de Sarreguemines, ministre de la guerre du 12 mai 1839 au
1er mars 1840 et membre de la célèbre famille d'industriels du Creusot, parvient à faire imposer la fortification de
la ville. Une ordonnance ministérielle en date du 28 juin 1844 ordonne ces
fortifications, qui sont achevées dès l'année 1852. La ville de Bitche ayant attiré un nombre de
plus en plus grand d'ouvriers, d'artisans et de commerçants, voit passer sa
population de 2 200 habitants en 1770 à 3 411 en 1850, ce qui amène les
constructeurs de fortifications à reporter les portes au-delà des anciennes
barrières.
Un
décret ministériel du 28 février 1850
élève la ville au rang de place-forte de première
classe, avant la fin des travaux en 1857. Après la guerre franco-allemande de 1870,
la place-forte de Bitche, désormais éloignée de la
frontière, n'a guère plus de valeur stratégique.
Ses fortifications n'étant plus adaptées aux grands
progrès de l'artillerie à canon rayé, le fort est
déclassé par les Allemands en 1880 et les fortifications
sont partiellement démolies par les Allemands de 1872 à
1914. À l'été 1984 sont mis au jour et
rebouchés les vestiges d'un bastion situé rue du
Général-de-Gaulle, à l'occasion de
l'aménagement du jardin municipal du Stadtweiher,
comme en 1957 ont déjà été mis au jour les
fondations de deux murs de l'enceinte de 1844, qui coupait le chemin
des moulins.
2. Portes
L'enceinte construite par les ducs de Bitche-Zweibrücken est percée à l'origine de deux portes. La
première, qui est dite Oberpfort ou porte supérieure, est la porte de Strasbourg ,
tandis que l'autre, appelée Unterpfort ou porte inférieure, est celle de Sturzelbronn. On
parle désormais de quatre portes en 1662, à savoir la Hinter Thor ou porte de
derrière, la Vorder Thor ou porte de devant, Ober Thor ou porte
dite de Strasbourg et Unter Thor ou porte de Sturzelbronn. Ces
portes sont gardées par des gardiens ou Wachtmeister, qui sont chargés de les
surveiller, de les ouvrir le matin et de les refermer le soir. À
certaines époques, la municipalité se charge de salarier le gardien. Chaque
citoyen doit lui livrer annuellement un Sester de grain. De même,
chaque voiture ou charrette amenant du bois doit lui fournir un
Porstang. Durant la fenaison, il a le droit d'arracher à chaque voiture
trois, et à chaque charrette, deux poignées de foin. De plus, le berger doit lui
garder gratuitement deux têtes de bétail et deux porcs. La reconstruction de
l'enceinte étant autorisée par Louis XIV en 1738, quatres barrières sortent de
terre dès l'année 1743. Un plan détaillé de la ville de Bitche est daté de 1753 et se
trouve conservé au musée de la citadelle. Il indique l'emplacement exact desdites
barrières :
- la barrière de Strasbourg, qui se
situe à l'emplacement actuel de la même porte,
- la barrière de Sarreguemines et de
Phalsbourg, située à la hauteur de cinéma Central
- la barrière de la Roche-Percée,
située à la hauteur de l'abattoir,
- la barrière de Landau était située
entre l'ancien hôpital militaire-bâtiment Rocca
et les établissements Lamy.
Ces barrières ne sont que de simples constructions de bois et de fer. Les mémoires des fortifications
de Bitche portant la date du
1er janvier 1758 disent : « Les barrières construites en 1743
aux entrées de la ville basse, étant tombées en vétusté, on en fait mettre les vieux
fers aux magasins, ainsi que les bois qui en sont provenus. On n'en propose pas
le rétablissement, attendu qu'elles deviennent inutiles. La nouvelle enceinte
projetée dans le pourtour de cette ville basse n'étant point encore décidée,
conséquemment, les entrées des portes ne sont point indiquées ».
En 1786, les
portes sont pourvues de quatre corps de
garde, d'une longueur de 6 mètres 80 et d'une largeur de 5 mètres 50, avec une
superficie au rez-de-chaussée de 37,40 m², semblables en construction et en contenance, faits
pour douze hommes, selon le tableau militaire de Strasbourg, dressé en
juillet et août 1819. Un autre tableau du ministère de la Guerre, daté du 17 décembre 1833 ,
concerne les propriétés immobilières appartenant à l'État qui sont affectées à
un service public quelconque dans la place de Bitche. Ce document
nous aprend que chaque corps de garde comprend à cette
époque un petit grenier, avec une superficie bâtie
pour l’ensemble de 192 m², pour une valeur
approximative en capital de 4 800 francs. Ce
document nous indique également que l'enceinte fortifiée
de la cité est construite en 1786, aux frais de la ville de
Bitche, pour le département de la Guerre sur les plans et sous
la direction du Génie militaire, ainsi que le fait qu'elle
appartient au département de la Guerre depuis sa construction,
et ce jusqu'au 8 avril 1811. Remis à cette époque
à la ville par décret du 23 février 1811, elle est
occupée à nouveau et entretenue par le département
de la Guerre depuis 1814, sans acte de reprise. Un état de la
direction de Sarrelouis du Corps Royal de Génie pour la place de
Bitche, en date du 15 novembre 1814, porte comme observation :
« la force de
service au 15 juillet 1791 est composée comme suit :
- Barrière de Strasbourg : 4 hommes, 1 Caporal, 3 Fusiliers
- Barrière de Sarreguemines : 10 hommes, 1 Sergent, 1 Caporal, 8 Fusiliers
- Barrière de la Roche Percée : 6 hommes, 1 Caporal, 5 Fusiliers
- Barrière de Landau : 12 hommes, 1 Sergent, 1 Caporal, 10
Fusiliers ».
Ces chiffres nous permettent très certainement de mesurer
quelle importance pouvait avoir lesdites quatre barrières.
Entre 1854 et 1852, différents travaux d'agrandissement des fortifications existantes sont entrepris à Bitche.
La porte de Strasbourg demeure alors l'unique porte à ne pas
changer d'emplacement au cours de ces transformations. En effet, la
barrière dite à ce moment de Sarreguemines et de
Phalsbourg éclate en deux. L'une d'entre elles, appelée
porte de Phalsbourg, est repoussée jusqu’au niveau de la chapelle de
l'Étang, tandis que l'autre, dite
de Sarreguemines, se trouve rebâtie à la hauteur de l'actuel hôtel
des Postes. La porte de Landau est elle aussi déplacée
et se voit reportée à la hauteur de l'actuel tabac
Hoellinger.
La terrible guerre franco-allemande de
1870 et l'héroïque siège de la ville par le commandant Louis-Casimir Teyssier
a durement malmené les portes de la cité bitchoise. De
plus, la mise en service de l'artillerie rayée, à plus
longue portée, à précision plus grande et à
effets plus puissants, modifie très grandement les conditions de
la
lutte, au grand détriment de la valeur du fort. C’est ainsi
qu'à partir de 1872, les portes de la place sont condamnées à la pique des démolisseurs qui
ne laissent debout que quelques pans de mur et une seule porte, celle de
Strasbourg, qui existe encore à ce jour mais se voit contournée par la
circulation de plus en plus dense. Les trois autres ont disparues durant l'annexion allemande, celle de
Sarreguemines dès 1889, celle de Lemberg en 1891 et celle
de Landau en 1900. La
porte de Strasbourg est classée monument historique depuis 1930
et continue aujourd'hui encore de veiller sur l'entée dans le cœur de la petite cité bitchoise.
3. Bibliographie
- HIEGEL (Henri), « Les remparts de Bitche », Le Pays de Bitche, num. 8, 1979, p. 14-17.
- JACOPS
(Marie-France), GUILLAUME (Jacques), HEMMERT (Didier), Le Pays de Bitche
(Moselle), Metz, Éditions Serpenoise, 1990, p. 27-38.