Il est un sujet fort intéressant, dont toute trace visible a disparu depuis des siècles dans le paysage du pays de Bitche : la traite et le flottage du « bois de Hollande ». Cette activité a connu son heure de gloire au début du XVIIe siècle, mais aurait pu avoir des effets bénéfiques pour toute la région, n'eût été la guerre de Trente Ans (1618-1648) et l'hécatombe qu'elle engendra. Si le trafic de bois de Hollande reprit, au début du XVIIIe siècle, l'argent dut manquer pour aménager la Horn, car on n'entend plus guère parler de flottage dans les textes de l'époque.
Histoire
La partie couverte du pays de Bitche abritait à cette époque l'une des plus belles forêts d'Europe, on le sait bien. Forêt plus impressionnante et plus riche qu'aujourd'hi, du fait de ses chênaies et hêtraies vénérables, aux arbres plusieurs fois centenaires. Cette grande source de richesse appartenait évidemment au Prince ou aux puissants ; rien de très original là-dedans. Heureusement pour eux, les habitants, souvent, conservaient quelques droits issus de l'égalité primitive, quand tout appartenait à tous et que rien n'était la propriété exclusive de personne. C'est ainsi qu'il était permis aux manantts de faire le bois de chauffage (l'affouage), de mener les troupeaux de porcs sous les chênes « à la glandée », ou même de choisir en forêt du bois de construction, le « maronage ». La forêt omniprésente servait également à alimenter ces dévoreurs d'énergie qui se nommaient fours de verriers, à Soucht, Meisenthal, Goetzenbruck et Saint-Louis-lès-Bitche, ou forges et fonderies, comme à Baerenthal, Bannstein Mouterhouse et Bellerstein.
L'extraordinaire qualité des arbres de la gruerie de Bitche et des « forêteries », qui la composaient fut tant prisée qu'elle devint pour le comté une ressource non négligeable pour l'exportation. La principale puissance maritime sur le continent - en Europe du Nord s'entend -, puisque l'Espagne et la Sérénissime République de Venise sont presque inaccessibles pour le duché de Lorraine au XVIIe siècle, était la République des Provinces Unies des Pays-Bas. La Hollande était l'une de ces provinces et le dynamisme de ses marchands, la soif de négoce de ses armateurs avaient donné à ce pays de nombreux comptoirs dans les Indes dites néerlandaises. La toute jeune Compagnie hollandaise des Indes orientales avait été créée en 1602 pour établir des liens commerciaux durables avec de nombreux pays riverains de l'Océan indien. Qui dit commerce, dit bateau à cette époque et bateau entièrement en bois. Chacun sait que si le plat pays est riche en tulipes, il ne possède pas de forêts. Il devenait donc indispensable, pour continuer à maintenir une flotte commerciale de haute mer, de s'assurer un approvisionnement régulier, sans trop de difficultés d'acheminement et à des prix raisonnables, en beau bois de chêne et de hêtre. Le duché de Lorraine, mais plus particulièrement le comté de Bitche et la forêt du Warndt, autour de Forbach, Hombourg-Haut et Saint-Avold, seraient ce partenaire pour les marchands hollandais, « die niederländische Holzherren ».
Le bois de nos forêts, outre le fait qu'il servirait à construire de beaux et robustes navires, pouvait être affecté, selon sa qualité et son volume, à d'autres usages, comme par exemple la fabrication de tonneaux ou d'énormes foudres, qui sont de grandes barriques de 50 à 300 hectolitres de contenance. Mais, pour revenir un instant à la construction navale, celui qui mesure l'enjeu que représente les belles fûtaies de chêne au XVIIe siècle comprendra mieux l'insistance très forte du Cardinal de Richelieu (1585-1642) et surtout de Louis XIV (1638-1715), roi de France entre 1643 et sa mort, à se rendre maître du pays de Bitche. C'est d'ailleurs ce roi qui fait construire la première citadelle sur les hauteurs du Schlossberg, sur les plans de l'ingénieur Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (1633-1707). La Chambre royale de Metz ratifie cette possession en 1683, mais la forteresse doit être démantelée dès 1697, selon les clauses du traité de Ryswick qui met fin à la guerre de la ligue d'Augsbourg ; par ce traité le royaume de France s'engageait à évacuer la Lorraine, celle-ci devant demeurer neutre. Entre temps, combien de chênes sont tombées dans les forêts de Bitche, abattus pour le service du roi, avant de prendre le chemin de France, sur l'ordre du grand ministre Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), tout occupé de bâtir pour le souverain une flotte capable de rivaliser avec les meilleurs du monde ?
Restait encore le problème de l'acheminement vers la Hollande. Le procédé le moins cher pour transporter le bois en grume, est, à coup sûr, le flottage sur l'eau. Cette méthode est toujours utilisée en Finlande, au Canada et Amazonie, pour ne citer que des exemples connus de tous. Pour cela, il faut disposer de rivières bien curées, sans obstacle grave et assurant un débit suffisant sur une pente appropriée. Depuis longtemps, le flottage existait sur la Sarre ou la Moselle et le Rhin était assez large et puissant, pour emporter, de la façon que l'on voulait, le bois jusqu'en Hollande. Le ruisseau de la Horn, pendant quelques années, joue le rôle de premier maillon dans cette longue chaîne d'exportation du bois. Ce qui représente incontestablement le seul exemple de désenclavement du Bitscherland par la voie fluviale dans son histoire. Henri et Charles Hiegel, spéclialistes incontestés de l'histoire de la Lorraine allemande, notent dans Le Baillage d'Allemagne de 1600 à 1632 que « dans le comté de Bitche, l'exportation du bois vers le Duché de Deux-Ponts, fut entreprise à partir de 1621 et se poursuivit jusqu'en 1632. Le bois était flotté sur la Horn, jusqu'à Hornbach et Deux-Ponts ». On sait que le relais était ensuite pris par la Blies, puis par la Sarre.
Les quantités de bois vendues aux Hollandais étaient très importantes, trop peut-être. Peu après la mort du duc Stanislas, un arrêt de Louis XIV, en date du 27 septembre 1768, réglemente les droits d'usage et la vente d'arbres car, semble-t-il, les habitants des villages forestiers se seraient plaints d'une déforestation trop brutale. On les comprend, quand on sait qu'en 1750, un sieur Hausen « avait acquis, par adjudication, la quantité de 42 000 pieds d'arbresn sabs compter un supplément de 7 000, qui lui fut abandonné gratuitement, pour faire le commerce des bois de flotte, pour la Hollande. Une vente de 51 598 arbres fut faite entre 1764 et 1765, au profit du Roi ». À cette allure, le risque était grand de mettre en péril tout le massif forestier du pays de Bitche. Par cet arrêt du Conseil du 27 septembre 1768, le Roi maintient les habitants des villages de la partie couverte dans l'exercice des droits d'affouage, de marronnage, de grasse et de vaine pâture dans les forêts de Bitche.
Bien évidemment, tout ce bois ne partait pas que par la Horn ! Malgré tout, les traces de transactions passées officiellement, font état d'opérations assez substantielles. C'est ainsi que le contrat signé en 1621 et pour dix-huit ans, entre le gruyer du comté de Bitche et le prévôt de Hornbach et ses associés, parle d'une exploitation annuelle de 3 à 4 000 toises de cordes de bois. Les difficultés liées tant à l'aménagement des cours d'eau, surtout la Sarre et l'Eichel, qu'à la guerre de Trente Ans, qui débute alors, réduisent le trafic. Ainsi, le prévôt de Hornbach fait flotter 2 400 cordes en 1622 et 2 000 seulement en 1623. L'un des partisans les plus convaincus de l'excellence de ce moyen de transport était Jean-Valentin Dithmar, ancien receveur de Bitche. Il s'établit même à Hornbach et fait flotter du bois de 1625 à 1631, ainsi que l'attestent de nombreux documents d'archives conservés à Metz. Cet homme influent, administrateur avisé et en avance sur son temps, sait voir l'opportunité et le profit que représente l'utilisation de la Horn pour le commerce de bois de Hollande. Non seulement il s'acquitte avec succès de son rôle de gruyer du comté de Bitche, de 1606 à 1626, mais il introduit la métallurgie dans le comté, et joue la carte de l'exportation, par le flottage du bois.
À partir de 1627 et pendant plus d'un demi-siècle, les ravages de la guerre de Trente Ans (1618-1648), les erreurs politiques de Charles IV (1604-1675), duc de Lorraine en droit de 1625 à sa mort, vont anéantir la prospérité réelle du comté de Bitche. Les survivants se réfugient au fond des immenses forêts, en attendant, tant bien que mal, des jours meilleurs. La Horn cesse bien vite de flotter du bois de Hollande, pour charrier cadavres et ruines. Les villages, vides d'habitants, deviennent la proie des flammes et servent de refuges aux loups. Dans le hameau de la Lieschbach, commune de Philippsbourg, près du ruisseau du Falkensteinerbach, la vallée du Holländerthal, enclave défrichée en pleine forêt, continue de rappeler cette époque d'activité fébrile. Pour nous, allons suivre le cours de la Horn. Peut-être saura-t-elle nous parler de cette vie aventureuse qui était la sienne alors ?