Erbsenthal

L'ancien domaine d'Erbsenthal se situe entre les villages de Sturzelbronn et d'Eguelshardt, et plus précisément entre les collines boisées du Biesenberg (376 mètres), du Abstberg (375 mètres), de l'Erbsenberg (402 mètres) et du Rothenberg (358 mètres). Coulé dans le lit du ruisseau de la Rothenbach grossie des eaux de la Moosbach et de la Zinsel, le domaine, d'une longueur de trois kilomètres, s'étend sur 33 hectares et demi des deux côtés de la rivière : la rive gauche fait partie de la commune de Sturzelbronn (24,5 hectares), la rive droite de la commune d'Eguelshardt (9 hectares). Il comprend en outre un étang de 5,5 hectares, appelé Erbsenweiher ou encore Erbsenthalerweiher, cinq cent mètres en aval de celui que forme la Rothenbach au niveau de la maison forestière du Biesenberg.

Table des matières

I. Histoire
II. Vestiges actuels IV. Annexes
     
1. Naissance du domaine
III. Notes et références
1. Bibliographie
2. Premières mentions
2. Liens internes
3. La famille Creutzer
4. Le baron
5. La famille Dutreuil
6. Le déclin et la fin

I. Histoire

1. Naissance du domaine

Avant le Xe siècle, le vallon d'Erbsenthal, s'il est occupé, ne l'est très vraisemblablement que par des personnes isolées. En effet, comme toute la région, il est couvert de forêts épaisses, coupées de nombreux marécages ainsi que de pontements et rochers de grès, lui donnant un caractère assez sauvage et inhospitalier. En 1135, le duc de Lorraine Simon Ier le Gros de Lorraine (1076-1138) donne une partie de ses biens de la région de Bitche à son ami saint Bernard de Clairvaux, de retour à la cour de Lorraine, pour y fonder l'abbaye cistercienne de Sturzelbronn, qui subsistera malgré la révolte des Rustauds en 1525 et la terrible guerre de Trente Ans, mais sera anéantie par la violence révolutionnaire du XVIIIe siècle. Douze moines venus de Bourgogne, menés par un abbé et appelés « die grauen Mönchen » (les moines gris) avec comme devise Ora et labora (priez et travaillez), créent le monastère cistercien. Déboisant, défrichant et aidés de quelques serfs, bûcherons et paysans, ils valorisent la vallée de la Sturzel, créant le village de Sturzelbronn. Plusieurs princes de la maison de Lorraine choisirent l'abbaye pour lieu de sépulture, notamment Simon Ier qui y est enterré en 1139.

La pièce d'eau de l'Erbsenthalerweiher. L'Erbsenweiher, niché dans la profonde forêt de Hanau. La barre rocheuse de l'Erbsenfels se situe à proximité de l'ancien domaine.

Peu à peu, les moines vont établir des granges dans les environs, permettant sans doute l'implantation de chaumières isolées qui auraient servies à protéger plus d'un malheureux, fuyant l'un des seigneurs tout proches. C'est pourquoi il semble probable que l'Erbsenthal, à l'époque confondu avec ces contrées, ait été occupé par quelques personnes, d'autant plus que selon Dorvaux une chapelle aurait été construite sur le domaine au XIVe siècle et aurait été desservie par les moines de Sturzelbronn. Au XIVe siècle, les seigneurs de Kirkel et de Waldeck font don à l'abbaye de l'étang d'Erbsenthal et de la moitié des forêts de Waldeck. Cependant, l'histoire ne donne pas plus de renseignements sur cette période, quoique certains parlent de granges disparues, allant même jusqu'à affirmer l'existence d'un village entier, disparu durant la guerre de Trente Ans (1618-1648). Il est par ailleurs certain que l'histoire première de l'Erbsenthal a souvent été confondue avec celle de deux autres annexes voisines que sont l'Altzinsel et le Neuzinsel. Toujours est-il que l'on retrouve très souvent ces dernières avec des suffixes tels que -bach (ruisseau), -weiher (étang), -hof (ferme) ou -thal (vallée).

2. Premières mentions

La première trace écrite de l'Erbsenthal intervient au début du XVIIIe siècle. À cette époque, un forestier nommé Michel Gasser demande l'autorisation à l'administration de construire en aval de l'étang d'Erbsenthal une scierie. Néanmoins on note déjà un censier à la ferme d'Altzinsel en 1704, nommé Joseph Ackermann. Michel Gasser, en plus de sa scierie, sera censier à la ferme de Neuzinsel de 1739 à 1741. Jean-Pierre Leininger épouse l'unique héritière de Michel Gasser, Barbe, et exploite encore la ferme de son beau-père en 1762. En 1775, il est indiqué comme habitant l'Erbsenthal. Selon l'abbé Langenfeld, fils d'un ancien régisseur du domaine, Jean-Pierre Leininger aurait acheté en 1780 l'Erbsenthal, alors que la scierie était en ruines, mais l'information n'est pas justifiée par un écrit officiel. De plus, il est probable que le domaine ait été vendu après la Révolution française en 1792 comme bien national.

3. La famille Creutzer

Henri-Guillaume Creutzer, originaire de Zweibrücken, dans le proche Palatinat, est administrateur du district de Bitche et décède à Volmunster. Il acquiert vers 1800 la scierie et la ferme d'Altzinsel, afin de les exploiter. Son fils, prénommé Charles-Auguste, est né en 1780 de son union avec Philippine Weyland. Le jeune homme épousera en 1818 mademoiselle Hélène Glaser de Guémar, qui est la nièce du maréchal François Joseph Lefèbvre (1755-1820) ; le couple a trois enfants, qui naissent à Bitche, ville où ils habitent également. Le deuxième fils de Henri-Guillaume, Auguste Creutzer, restera célibataire tout en demeurant à Bitche. L'home est de métier inspecteur des Eaux et Forêts, ainsi que « lieutenant de louveterie pour l'arrondissement de Sarreguemines ». Il est spécialement chargé de « la destruction des animaux nuisibles que contiennent les forêts du canton de Bitche » et décèdera finalement sans postérité.

Charles-Auguste Creutzer, le nouveau propriétaire du domaine de l'Erbsenthal, agrandit les terres acquises par ses parents en achetant des parcelles nouvelles aux alentours. Cependant, ce n'est pas lui-même qui les exploite et il loue sans doute les terres du domaine, du fait de son métier dans les armées, où il s'illustrera. En effet, entré en 1799 dans l'armée du Rhin, il devient successivement brigadier du 11e régiment de Dragons en 1800, aide de camp du général Charles Étienne Gudin de La Sablonnière (1768-1812), son beau-frère, dans la même année lieutenant en 1801, puis capitaine en 1807 et général de brigade en 1813. Charles-Auguste Creutzer est général commandant supérieur de la place-forte de Bitche en 1815, ainsi que durant l'épisode des Cent-Jours, entre le 1er mars et le 18 juin 1815. Il est nommé enfin inspecteur d'infanterie en 1816, puis enfin commandant du département de la Moselle en 1830. Il est promu finalement officier de la Légion d'honneur et est doté d'une particule. Il décède dans la bonne ville de Bitche en 1832, laissant le domaine de l'Erbsenthal à ses enfants.

La chapelle Notre-Dame-des-Bois constitue le seul vestige du prestige passé du domaine. Le général Michel Bizot, né à Bitche en 1795, est le père de Camille de Creutzer, épouse du baron Charles-Auguste Adolphe de Creutzer. Image pieuse rappelant le souvenir de Mademoiselle Hélène Dutreil.

4. Le baron

Parmi les enfants de Charles-Auguste de Creutzer, l'aîné est prénommé Charles-Auguste Adolphe mais il est aussi surnommé le baron de Creutzer. Il épousera mademoiselle Camille Bizot ; il s'agit de la fille du général Michel Bizot, un autre enfant du pays, illustre personnage né en 1795 à Bitche lui aussi. Gouverneur de la prestigieuse École Polytechnique en 1852, Bizot commande le Génie pendant la guerre de Crimée, durant laquelle il est d'ailleurs tué devant Sébastopol en 1855. Le baron Charles-Auguste Adolphe de Creutzer est pour sa part un riche marchand de bois, qui s'occupe alors de trois scieries, dont deux sont situés dans l'écart de l'Erbsenthal. Les archives ont notamment conservé une ordonnance émanant du roi des Français Louis-Philippe Ier (1773-1850) et datée de l'année 1835, qui autorise le propriétaire à continuer le roulement, pendant cinq années, de la scierie dite d'Erbsenthal. La deuxième petite industrie du baron se trouvait 500 à 600 mètres en aval, sur le ruisseau du Rothenbach. La troisième qu'il exploitait se trouvait au hameau de la Lieschbach, annexe de la commune voisine de Philippsbourg. Le baron de Creutzer était par ailleurs aussi le propriétaire des deux fermes voisines de l'Altzinsel et du Harzhof : la seconde tire son nom du four à résine qui y fonctionnait alors. Dans chacune des deux fermes, les fermiers à son service cultivaient avec deux bœufs, deux vaches et une génisse. On y cultive cependant très peu de blé, peu d'avoine mais en grande quantité le seigle et les pommes de terre. À la ferme de Neuzinsel, on essaie même un temps la culture du houblon, qui reste sans succès néanmoins.

Parallèlement à ses activités professionnelles, dans le hameau de l'Erbsenthal lui-même, le baron de Creutzer entreprend de faire des transformations majeures. Il y fait construire notamment un château-résidence, qui est appelé localement s' Schlessel, en allemand das Schlössel ou le petit château. Il complète également les infrastructures par la construction d'une maison pour le personnel de service, d'une glacière située près de l'étang, ainsi que d''une serre et de diverses dépendances dans le domaine. On parle même, sans que cela soit établi toutefois, d'une maison à deux étages, servant au logement des religieuses qui se seraient occupé alors d'orphelins et dont monsieur l'abbé Thilmont était aumônier. La glacière, une sorte d'igloo isolé par de la paille - méthode fort ancienne dans la région puisque déjà utilisé par les moînes cisterciens de Sturzelbronn -, servait à y entasser la glace de l'étang de l'Erbsenweiher en hiver, qui pouvait être utilisée jusqu'en été, soit pour être consommée directement, soit pour conserver les aliments tels que les poissons, d'autant plus que l'étang était très poissonneux.

La sœur du baron, Malvina de Creutzer, est propriétaire de la maison du Neuweiher à cette époque. C'est ainsi qu'elle fait construire en 1859, à l'emplacement de la chapelle du XIVe siècle détruite pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648), une nouvelle chapelle. En 1860, le curé-archiprêtre Cordier de Bitche, dans une lettre adressée à Monseigneur Paul Dupont des Loges (1804-1886), évêque de Metz de 1843 à1 1886, demande l'autorisation d'y célébrer la Très Sainte Messe. L'autorisation est accordée verbalement et renouvelée d'année en année jusqu'en 1934. Les lieux semblent idylliques selon une description de Madame Ott, qui se souvient des paroles de sa mère : « le petit château, ou Schlessel, bâti en descendant le chemin de l'étang avec véranda couverte avec vue sur l'étang. En partant de la chapelle, vers la droite, il y avait une serre avec des fleurs. De belles allées étaient tracées et entretenues, ainsi que du gazon. Il y avait un verger ». Cependant, Charles-Auguste de Creutzer va devenir veuf très jeune : sa femme décède en 1850 à l'âge de vingt ans. C'est pourquoi il va vivre seul au château, toutefois en compagnie de sa fille, Hélène-Julie née en 1848, et de sa sœur, mademoiselle Malvina, qui restera célibataire.

5. La famille Dutreuil

Hélène-Julie épouse en 1874 Paul-Bernard Dutreil, issu d'une famille noble de Laval, portant les lettres de noblesse Lemonnier de Lorière pour sa mère, Leclerc de la Jubertière pour sa grand-mère. Monsieur Dutreil va être élu député puis sénateur de la Mayenne. La famille, très riche, habite Paris mais vient très souvent au château. Malgré leur richesse, pendant leurs séjours à l'Erbsenthal, ils vivent plus simplement. Ils refusent par exemple bien souvent de se déplacer avec les deux autos qu'ils avaient dans le garage d'une des fermes, préférant se promener en calèche. Ils allaient beaucoup à la chasse, principalement avec leurs amis les de Dietrich. Leurs séjours se déroulent surtout en été, même après l'annexion allemande en 1871 : en effet, la famille a eu l'autorisation de passer six semaines par an au domaine. Après la mort de Malvina, en 1879 et en l'absence de la famille, un régisseur s'occupe des propriétés. Jusqu'en 1902, il s'agit de Pierre Röckel de Schweyen, de 1902 à 1913 de Jean Langenfeld de Lengelsheim, de 1913 à 1923 d'Eugène Mischler d'Eguelshardt, et de 1923 à 1939 de Frédéric Breiner.

Lors de la déclaration de la guerre en 1914, les Dutreil - le fils Maurice ainsi que sa famille - séjournent au domaine de l'Erbsenthal. Le maire d'Eguelshardt reçoit des autorités allemandes une enveloppe à n'ouvrir qu'en cas de guerre. Il l'ouvre par curiosité et peut y lire : « Sofort Dutreil verhaften wenn es Krieg gibt », soit « Arrêter d'urgence Dutreil si la guerre éclate ». Il envoie faire prévenir le concerné, qui peut, avec la complicité des de Dietrich, atteindre la frontière suisse in extremis, d'autant plus que celle-ci est bien surveillée et déjà fermée. La sœur de Maurice, Hélène, née en 1880, meurt brûlée vive le 4 mai 1897 dans l'incendie du Bazar de la Charité, au milieu de plusieurs centaines de victimes dont Sophie, princesse de Bavière, duchesse d'Alençon, sœur d'Élisabeth, l'impératrice d'Autriche. On dit que son frère Maurice, qui l'accompagnait, la reconnut au brillant de sa bague et vit sa main disparaître sans pouvoir la sauver. Suite à cette tragédie, Madame Hélène Dutreil, sa mère, installe à l'Erbsenthal, dans la maison du personnel, deux chambres où elle pose tous les objets concernant sa fille, ses jouets, poupées, habits, et au milieu d'eux, un grand portrait peint. Inconsolable, elle fait promener tous les jours, jusqu'à sa mort, la jument de sa chère fille.

Un barage autour de l'Erbseweiher. Un panneau du Club vosgien indique l'étang de l'Erbsenweiher. Le domaine est en effet situé au cœur de plusieurs sentiers sylvestres conduisant vers Eguelshardt, Surzelbronn ou encore Neunhoffen. Le rocher de l'Erbsenfelsen se situe à proximité de l'ancien domaine et est particulièrement remarquable.

6. Le déclin et la fin

Un second accident vient endeuiller le domaine de l'Erbsenthal le 18 août 1920. En effet à l'Erbsenfelsen, rocher situé non loin du domaine, Madame la vicomtesse André Lavaurs, née Justine Pauline Germaine Quatre Sols de Marolles, parente des Dutreil en visite au domaine, fait une chute mortelle. Elle s'était agrippée à une broussaille, sans penser que les racines pouvaient n'être que superficielles. Elle mourut à l'âge de trente-neuf ans. Une croix en grès est érigée en sa mémoire, mais détruite par mégarde lors d'un abattage d'arbres. On lui substitue une croix blanche, peinte sur le rocher, à l'endroit même de la chute fatale. Maurice, seul héritier du domaine et résident à Paris, vend vers 1935 l'ensemble de ses biens à l'Erbsenthal : les bâtiments et les terres sont achetés par la famille de Dietrich, déjà propriétaire des environs ; certains des biens matériels sont vendus à des particuliers, notamment à des habitants d'Eguelshardt, dont certains anciens possèdent encore du mobilier issu du Schlössel. Quelques années plus tard, après la fin du merveilleux épisode de l'Erbsenthal, s'achève également la descendance directe de la famille Creutzer-Dutreil, qui habitait au domaine. En effet, la femme de Maurice Dutreil est malade et n'a pas d'enfants. Son mari, haut fonctionnaire, ne supporte pas la défaite de 1940, et à l'entrée des Allemands à Paris, il se suicide, mettant fin à la lignée de l'Erbsenthal.

Par la construction de la ligne Maginot durant les années 1930, toute la région est truffée de casemates en tous genres. Durant la seconde guerre mondiale, les batailles font rage dans les environs : c'est ainsi que tous les bâtiments de l'Erbsenthal sont malheureusement détruits par les bombardements. Des travaux auraient même été fait au niveau de la digue de l'étang, pour inonder la vallée. Durant la guerre, deux soldats allemands tombés au champ d'honneur, dont un séminariste, sont enterrés devant la petite chapelle. Ils seront transférés par la suite vers le cimetière militaire allemand de Niederbronn-les-Bains. Au sortir des combats, la famille de Dietrich font niveler ce champ de ruines et plantent des forêts. Cependant, seul vestige du passé, la chapelle Notre-Dame-des-Bois résiste aux dommages de la guerre et les propriétaires lui épargnent la destruction.

II. Vestiges actuels

Du petit château, il subsiste encore quelques pans de mur, dont un escalier qui était utilisé pour faire des promenades dans les magnifiques forêts environnantes, ainsi qu'un rocher formant une très petite grotte, dans laquelle des chevaux furent attachés pendant la guerre. On y retrouve, plantés dans le roc, des fers à chevaux. Une partie de la cave du château est transformée au lendemain de la guerre en garage, servant lors de manifestations privées au domaine. Des différentes fermes entourant autrefois le château subsistent encore les fondations et quelques murets. Les fermes du Harzhof et de l'Altzinsel sont tombées en ruines mais la route forestière de Harzhoffen prouve que cet endroit était habité jadis. La ferme de Neuweiher, ancienne propriété de Malvina de Creutzer, la fondatrice de la chapelle, est encore habitée ; elle a été rebaptisée Maison Forestière des Forêts Domaniales de Sturzelbronn. La ferme de Neuzinsel est rachetée en 1885 par les Allemands et est détruite ensuite en 1900. La belle chapelle Notre-Dame-des-Bois demeure le seul témoin encore vivant du prestige passé du domaine de l'Erbsenthal.

III. Notes et références

IV. Annexes

1. Bibliographie
2. Liens internes

Accueil